Mark Watkins, co-fondateur de Coach Omnium, expert en hôtellerie et tourisme d'affaires nous éclaire sur sa vision du futur du tourisme, de l'hôtellerie et du tourisme d'affaires.
« Le tourisme c’est s’exporter, changer de paysage, d’environnement, sortir de sa zone de confort… »
Mark Watkins
Depuis Instagram, l’expérience touristique est devenue un « objet » qu’on présente dans une vitrine qui se vit à travers des photos, des albums…
Aujourd’hui, le touriste est plus un photographe que quelqu’un qui vit dans l’environnement dans lequel il s’exporte. Pour le moment, le tourisme d’affaires est moins touché par ce phénomène, une question de temps sans doute…
Forts de ce constat, les hôteliers ont dû s’adapter. Ils sont nombreux à avoir aménagé des lieux « instagrammables » et à laisser photographier leurs établissements et leurs plats.
Instagram a probablement changé des habitudes de voyages, des destinations…Les touristes choisissent des hébergements et des Airbnb instagrammables !
« Les touristes sont influenceurs. »
Mark Watkins
Au niveau de la demande, l’individualisme est la règle. Avant on voyait arriver des bus des touristes chinois ou japonais. On commence à voir de plus en plus souvent, des touristes chinois ou japonais qui viennent en famille ou en couple.
Du côté des visiteurs occidentaux, c’est la fuite du tourisme de groupes au profit des voyages individuels, accéléré notamment par la crise sanitaire. Mais individualisme est aussi synonyme d’égoïsme…Une réalité qui met à mal le respect de l’environnement.
Pour Mark Watkins, dans les études qu’il mène, il y a un contraste en matière de tourisme responsable entre ce qui est dit et les actes. Il n’y a que très peu d’évolutions dans les résultats d’études.
« Les démarches durables seront respectées par les touristes mais elles ne viennent aujourd’hui que très peu de la demande.»
Mark Watkins
Quand on part en vacances, on veut bien respecter certaines règles, mais pour les clients, c’est avant tout sur les professionnels du tourisme que repose la responsabilité environnementale. Selon le résultat des études de son cabinet, les clients ne cherchent pour le moment que peu de critères écoresponsables pour leurs séjours. Ils veulent profiter de leurs vacances ou week-ends. Ce comportement peut être jugé égoïste, voire hypocrite.
Du côté de l’offre, les critères durables sont encore trop légers et souvent déclaratifs. Pour être classé (étoiles) sous le critère durable aujourd’hui, il faut répondre à seulement 3 questions qui concernent la formation du personnel sur le tri sélectif, la gestion de l’énergie et la gestion des déchets et aucune vérification n’est mise en œuvre. Les éco-labels sont très peu suivis par les professionnels. Le durable n’est pas encore bien ancré dans les comportements des professionnels. Néanmoins, comme écologie rime souvent avec économie, les professionnels s’y mettent. Cependant, les professionnels attendent que la demande de durable viennent des clients.
« Pour que le durable devienne une réalité, il faut attendre une vraie demande de la clientèle ou qu’un gouvernement l’impose. »
Mark Watkins
L’envie de (re)voyager est bien présente. Nous l’avons vu lors des derniers étés malgré la crise sanitaire. Cependant, une méfiance à l’égard des professionnels est bien présente, notamment due aux conditions de remboursement et d’annulation.
Pour Mark Watkins, il y a bien eu une prise de conscience quant au ravage du sur-tourisme mais pour lui « la montagne accouchera d’une souris ». Partout dans les grandes villes concernées par ce « sur-tourisme », des mesures sont mises en place. Néanmoins, elles ne sont pas suffisamment coercitives pour limiter le tourisme de masse. Selon Mark Watkins, pour les visiteurs l’envie de découvrir des lieux emblématiques restera plus forte que leur volonté de s’inscrire dans une logique de responsabilité sociale et environnementale.
Les dangers pour la santé sont omniprésents dans les discours depuis la crise sanitaire. Cependant, de plus en plus de voix s’élèvent contre le port du masque et les gestes barrières. Les visiteurs, davantage par crainte que pour protéger les autres, feront attention, mais les voyages, synonymes de liberté, ne pourront pas continuellement être entravées par la peur
En tant qu’outil d’information, d’organisation des voyages et de réservation, Internet a tout bouleversé.
Aujourd’hui, selon Mark Watkins, les agents de voyages vont sortir de leur disgrâce et redevenir un maillon important de la chaîne touristique. Car la conception du voyage est beaucoup plus simple et donne un sentiment plus « sûr » quand elle est réalisée par un professionnel.
Les avis en ligne sont des outils formidables pour les clients qui les plébiscitent et les consomment. Cela manquait. Ces avis sont le reflet de la réalité terrain même si pour les professionnels ils sont synonymes d’une tension permanente
Les clients ne regardent plus les étoiles, les labels ou les classifications. Ils tiennent, avant tout, compte des avis, des notes et des photos et des prix.
Il faut aussi que l’on puisse faire ses réservations en ligne, en temps réel, avec réponse immédiate.
Les touristes attendent aussi plus des widget et d’outils de réservations en ligne.
« Les gens ne veulent plus attendre. Ils veulent tout, tout de suite. »
Mark Watkins
Selon Mark Watkins, nous n’avons plus aucun visionnaire dans le tourisme aujourd’hui. Personne n’a vu venir Booking et Airbnb.
« Tout ce que nous avons vécu ces dernières années, crises sanitaires, et autres bouleversements, nous ne l’avions pas vu venir ! »
Mark Watkins
Mark Watkins est formel : Airbnb ne fait pas d’ombre à l’hôtellerie. Les taux d’occupation des hôtels en France sont les même depuis 12 ans (données avant crise sanitaire). A l’inverse les données d’Airbnb en France, deuxième destination après les Etats-Unis, n’ont pas arrêté de progresser dans le même temps. Airbnb est un complément de l’hôtellerie. Airbnb correspond à une clientèle plus jeune qui n’allait pas avant à l’hôtel notamment pour des raisons économiques. L’hôtellerie est aujourd’hui essentiellement pour du court séjour, d’une à deux nuits, alors qu’Airbnb est ancré dans des séjours plus longs ou à plusieurs (en famille, entre amis).
La facilité de voyager avec notamment les low cost a également été une vraie révolution.
Ce qu’on appelle le « lifestyle », inspiré d’Airbnb, dans l’hôtellerie par exemple est plus anecdotique. selon Mark Watkins.
En 1985, il y a eu la révolution des hôtels « Formule 1 », avec des coûts maîtrisés. Mais, à ce jour ce concept est totalement dépassé.
Au niveau des consommateurs, la demande de nouveautés n’est pas exprimée. Elle ne constitue pas une tendance.
Ils veulent le confort du lit avec un lit plus grand car ils ont cela chez eux.
« Les gens demandent à minima ce qu’ils ont chez eux ! »
Quels sont les fondamentaux ? : un grand lit confortable, une salle de bains bien éclairée avec une douche à l’italienne, une bonne insonorisation de la chambre et un accès facile au wifi, qui doit être au minimum haut-débit à toute heure.
Dans la même logique, les gadgets digitaux et la domotique, signes d’un meilleur confort, sont aussi appréciés. Mais le check-in numérique, sans passer par la réception, n’est pas forcément la meilleure idée en hôtellerie. On veut du contact humain.
Les enquêtes montrent qu’il n’y a pas beaucoup d’évolutions dans les demandes des voyageurs à part celles liées aux fondamentaux. Sans doute parce que les professionnels font défaut sur certains de ces fondamentaux qui comme leur nom l’indique ne peuvent pas être négligés.
« Peu de professionnels savent séduire les clients. Nous sommes encore trop souvent dans le marketing de l’offre. Il faut aller dans le marketing de la demande comme le font Booking et Airbnb. »
Mark Watkins
Il faut arrêter de parler "d’expérience". Ce nouveau mot-tiroir à la mode n'est pas adapté. Comment savoir ce qu’un client est susceptible de vivre comme expérience ? Il faut interroger les clients. Sur Booking, tout ce qui peut être espéré par le client est présent y compris les garanties s’il devait y avoir un problème lors du séjour.
« Faîtes tester vos innovations par vos clients ! »
Mark Watkins
En faisant tester, les produits du petit-déjeuner, la fonctionnalité ou la décoration des chambres, on peut éviter des impaires et se rapprocher du vrai désir des clients. Il faut aussi demander l’avis des femmes de chambres ou du personnel des établissements. En hôtellerie et dans le tourisme, il y a un retard de modernité, dans l’approche marketing des clientèles, dans l’hôtellerie qui dure depuis longtemps.
« Une réglementation trop lourde est un vrai facteur de blocage »
Mark Watkins
La réglementation dans la plupart des cas, est exagérée, un canon pour tuer une mouche, et représente un énorme coût pour les professionnels.
La difficulté à recruter n’est pas un phénomène nouveau mais la crise l’a accentuée. La principale piste d’évolution consisterait en une meilleure reconnaissance et valorisation salariale du personnel. Avant, avec la loi Godart qui incluait 15% du prix pour le paiement des salariés de la restauration, le personnel était bien mieux payé. Mais cette pratique a été supprimée.
Dans le secteur de l’hôtellerie, on a connu du personnel assez bien payé mais l’arrivée des chaînes a imposé un volume horaire, avec moins d’heures mais un salaire au smic…cela a été suivi par l’ensemble de la profession.
L’enjeu lié à l’augmentation des salaires inclut également celui du risque de voir les prix de l’hôtellerie augmenter…
« Le problème du recrutement, de la fidélisation du personnel date depuis au moins 15 ans ».
« Sur près de 18 000 hôtels en France, il y a 11 000 établissements trop petits sur le plan économique par rapport à leur seuil de rentabilité en France !
On sait qu’il y aura des structures qui ne repartiront pas suite à la crise sanitaire, quand il faudra rembourser les PGE »
Mark Watkins
« Le tourisme de demain ressemblera au tourisme d’hier »
Mark Watkins
Le tourisme d’affaires reviendra à la normale car rien ne remplace les vrais échanges physiques. Les gens en ont assez des visioconférences !
On veut des professionnels heureux qui s’émancipent.
On veut des clients heureux qui acceptent de dépenser leur argent !
Mais il faut suivre les principes économiques qui collent à la réalité : des hôtels plus grands et plus rentables.
« Le discours fallacieux, de dire que nous sommes la première destination touristique mondiale doit s’arrêter. »
Mark Watkins
Ce message est un vrai problème car il biaise les actions des décideurs politiques et les vrais problèmes ne sont pas soulevés.
En réalité, on n’en sait rien, car personne n’a trouvé le moyen de compter les touristes qui entrent dans notre pays.
Interview de Mark Watkins par Séverine PORTET
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