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    Eclairage sur l'avenir du tourisme par Norbert Crozier

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    Norbert Crozier dirige la mission d’ingénierie et d’attractivité ALL « Autour du Louvre Lens », portée par Pas-de-Calais tourisme.

    Il nous éclaire sur sa vision du tourisme d’aujourd’hui et de demain.

    5 choses à savoir sur Norbert Crozier

    L’attractivité par la valorisation des identités de territoires : l’exemple du Louvre Lens

    « Travailler l’attractivité, c’est valoriser l’identité des territoires »

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    Quand on parle d’attractivité, on parle d’abord de valeurs, d’identités de territoires. Il s’agit de penser de nouveaux récits, penser des nouveaux imaginaires, requestionner aussi le tourisme en testant, en expérimentant et en s’appuyant sur des marqueurs fort. Pour le territoire du bassin minier Nord-Pas-de-Calais, deux marqueurs internationaux se sont imposés. Le Louvre-Lens qui regorge d'histoires et de récits ainsi que l’inscription au patrimoine par l’UNESCO du bassin minier.

    L’ambition a été de construire autour de ces deux composantes majeures un nouvel imaginaire à partir de l’ADN qui fait ce territoire.

    « L’ambition du travail d’attractivité de territoire tourne autour des valeurs, de la question du changement d'image et du renversement des clichés. »

    Penser de nouveaux récits, c’est penser de nouveaux services.

    Par exemple, pour la destination « ALL Autour Louvre-Lens », nous avons beaucoup agi sur les valeurs humaines. C’est une question essentielle du récit. Nous avons beaucoup travaillé sur l'analyse des valeurs humaines, sur les esthétiques paysagères, les esthétiques industrielles. Ensuite, on a identifié des pépites souvent sous-estimées mais qui peuvent faire l'objet d'un grand intérêt quand on les voit sur les réseaux sociaux. Le web social regorge souvent de petites pépites qui émergent. Ce sont ces choses qu’il faut repérer et mettre en récit.

    Le point de départ est la compréhension du socle de valeurs qui réunit et fait sens à l’échelle d’une destination. On doit le décrypter via des questionnaires, des interviews en passant par une approche iconographique et historique des territoires destinations. On peut aussi repérer des écrivains, des artistes, des personnalités et des savoir-faire. Il faut ne pas hésiter à aller puiser des compétences et de l’intelligence dans d’autres secteurs d’activités.

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    Le savoir-faire est très important de nos jours. Chacun veut faire son produit dérivé, son objet souvenir, la troisième intention d’achat des touristes. C’est un vecteur de communication et de promotion d’une destination qu’il ne faut pas négliger. Là aussi il faut lui donner du sens ; on parle de tourisme créatif quand il s’agit de le créer soi-même. L’occasion d’associer et de valoriser le monde de l’artisanat.

    Il faut aussi faire comprendre aux habitants que ce qu’il y a autour d’eux a de la valeur, que c’est intéressant pour des visiteurs, en le designant et le magnifiant un peu tout en respectant l’histoire.

    L’exemple le plus marquant est l’utilisation du noir dans la communication. Le noir « charbon » comme stratégie de valeur, a comme un élément central. L’acceptabilité du noir n’a pas été simple au départ car cette couleur a tout de suite été associée à la dépression, à la grisaille, aux difficultés liées à l’exploitation du charbon. Mais si on fait référence au code du luxe, si l’on travaille la notion de noir culturel, et en l’associant à d’autres couleurs « identitaires », cela change le regard et l’acceptation de cette couleur par les locaux.

    « Il faut rendre fiers les habitants de leur territoire, de leur histoire. »

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    Ce sont des territoires qui ont souffert. Aussi, collectivement, nous devons, avec les acteurs du développement, redonner confiance dans Il faut transformer les habitants en ambassadeurs, en porte-paroles puisque le bouche à oreille reste le premier vecteur de communication.

    Pour cela, nous avons donné la parole aux habitants. Nous leur avons demandé de se raconter, d’exprimer des émotions vécues. Grâce à ces propos, nous avons réalisé un guide émotionnel des habitants de l'agglomération de Lens-Liévin. Chacun est venu raconter sa petite histoire liée à un lieu … une histoire autour de la Première Guerre mondiale, une histoire autour de l'activité minière, une histoire d'enfance, une histoire de boulangerie, une histoire sportive ou culturelle… On en revient toujours à cette notion de mémoire, d’écriture, de scénario.

    Nous avons aussi ouvert la parole aux commerçants, toujours dans une approche créative, pour réaliser un parcours sonore dans la ville de Lens. Avec l’appui d’un compositeur, nous avons créé la bande son du territoire et un jingle à partir des bruits qui font la destination que ce soit un brassage de bière, un match de foot, une machinerie de mine, un envol de pigeons pour la colombophilie… des éléments identitaires qui parlent au plus grand nombre.

    Les créatifs sont très utiles pour aider à repenser, à expérimenter de nouvelles formes et services. Le monde du tourisme aurait vraiment intérêt à se tourner vers des écoles d'art, vers des artistes, des designers, aux côtés d'économistes, de sociologues et de professionnels du tourisme afin de créer les fondamentaux qui vont durer dans le temps, un socle solide avant d’engager une campagne de communication classique. Le musée du Louvre-Lens est un véritable catalyseur du développement territorial. Il joue pleinement son rôle en termes d’attractivité régionale. L’exemple de l’exposition RC Louvre qui a rendu hommage aux supporters du club de football à travers une exposition réunissant des objets et des témoignages participe de cette reconnaissance des habitants.

    Entre quête de soi et quête des autres

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    On ne voyage pas pour les mêmes raisons qu'au XVIII ème siècle puisque nous sommes dans une société différente. Nous sommes installés dans une société de consommation, de loisirs et du bien-être. Durant ces vingt, trente dernières années, nous sommes dans cette logique des retrouvailles, de se retrouver soi-même, retrouver ses amis, sa famille. L’enjeu de se retrouver s’est vraiment accéléré avec la crise sanitaire. La notion de festivité, tout ce qui touche au regroupement festif, aux festivals, aux événements sportifs est une dimension qui a pris davantage d'importance par rapport à une trentaine d'années. C’est la culture du collectif, du partage des émotions que ce soit à travers le sport ou la culture.

    « La recherche d'un équilibre entre son activité professionnelle, son activité personnelle et des temps de pause est fondamental de nos jours. »

    On constate un certain repli de nos sociétés. Notre société est très paradoxale. Elle est à la fois hyper connectée et en même temps en repli.

    « Notre société est à la fois hyperconnectée et en repli. »

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    Ce repli est visible au niveau individuel, au niveau des territoires, des destinations avec un monde qui se réduit d'un point de vue touristique. Les coopérations sont aujourd’hui plus difficiles à faire vivre dans le temps.

    Même si les voyages internationaux ont été croissants, nous avons tout de même cette notion de repli qui crée ou renforce le sentiment d’ 'isolement. Comme un balancier, on observe une recherche de grands événements collectifs et festifs. Ces moments de partage permettent de compenser.

    Cette tendance au repli s'est accélérée après le COVID. Et du coup, tout ce qui permet de s'évader et de partager des expériences et des émotions, de se reconnecter à la nature sont en forte demande.

    « Nous sommes dans une époque assez mystique. Les gens sont en recherche de sens. »

    Il s’agit peut-être d’une quête personnelle sur la place qu’ils occupent dans la société, dans ce monde. Nous n’avons d’ailleurs jamais vu autant de personnes qui partent en itinérance, qui recherchent une forme de nomadisme. Ces itinérances peuvent se faire seul, en couple, ou en petits groupes. Ce sont pour beaucoup des pèlerinages spirituels, des quêtes de soi, pas forcément reliés à une religion en particulier. D’autres vont dans des concerts ou des grands évènements sportifs pour se relier pendant un moment.

    « Nous sommes dans une logique hybride. »

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    Beaucoup d’offres de voyage sont hybrides. Par exemple, on peut faire le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, découvrir une exposition et en même temps aller au festival des Vieilles Charrues ou aller aux Jeux olympiques ou à une Coupe du monde de rugby ou voir un match de foot. Il y a des séquençages dans nos vies et dans nos voyages, selon les périodes de l’année.

    « Il y a une forme de romantisme dans les tendances actuelles incarnées notamment dans l’itinérance. »

    La marche prend de plus en plus de place. Et en balancier, la candy culture avec tous les nouveaux concepts de restaurations, les bonbons, les donuts explose…On le voit dans tous les domaines, les nouveaux codes de la mode,…Ceci traduit un vrai besoin de retour à l’enfance qui fait contrepoids au contexte morose et complexe que l’on subit en ce moment. C’est un moyen de lâcher prise sur la réalité. Cette tendance se traduit aussi dans le secteur touristique.

    Nous sommes dans une société de paradoxes. D’un côté, on veut de l’hyper connectivité, de l’autre, on recherche de l’isolement. Nous sommes sur des lignes de force qui modifient la commercialisation et la production des nouvelles offres. La question de la santé à travers le sport santé, le mieux manger le mieux-être, le ressourcement. Les offres de bien-être explosent sous différentes formes avec de nouveaux concepts.

    Et en parallèle, nous avons la place importante prise par les marques et le star système, les séries, … qui influencent fortement la société. Notre société est devenue société de l’influence qui impacte nos consommations et nos choix de destination. Certaines marques s’appuient sur ce phénomène en faisant du co-branding.

    Les frontières sont de plus en plus floues. Par exemple, la porosité entre le travail, les activités de loisirs, les vacances est de plus en plus forte.

    « Il y a une sorte de flou ambiant, une porosité. »

    Cela s’incarne par exemple à travers les fortes demandes de télétravail au niveau professionnel et un besoin d’offres touristique hybridées. Par exemple, on note de nombreuses offres hybrides qui allient sport/culture ou balnéaire / culture.

    Renforcement du besoin de naturalité et de ressourcement

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    Beaucoup après la crise sanitaire nous expliquaient que nous allions avoir une rupture radicale, que le tourisme de masse allait s'effondrer. Aujourd’hui, le résultat est l’inverse. Les aéroports sont saturés. Néanmoins, la crise sanitaire a accéléré les tendances de fond comme le retour aux sources, aux valeurs, la nécessité de penser à soi-même. On a assisté également à des déplacements des villes vers la campagne. Même si parfois la campagne est fantasmée. Le désir de nature va être croissant, aux regards à la fois des nouvelles aspirations sociétales, de la perte d’écosystèmes et la disparition d’espèces animales.

    « Le changement climatique va perturber des destinations et les flux touristiques, que ce soit dans le Sud avec les sécheresses, ou dans le Nord avec les inondations. On le voit déjà en France. »

    La question des écosystèmes est une vraie préoccupation qui va être grandissante quant aux choix liés à leur protection et les espaces de protection de la nature. Cela va aller beaucoup plus loin avec les phénomènes migratoires. Ces questions ne seront pas neutres et vont changer la géographie de certaines destinations. Les enjeux environnementaux, surtout avec les générations les plus jeunes, vont prendre de plus en plus de place.

    Les enjeux pour demain

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    L’enjeu de la personnalisation croissante

    La personnalisation, présente depuis quelques années déjà va s'accélérer avec l'intelligence artificielle. Des expérimentations sont déjà réalisées avec l’appui des neurosciences, l’analyse de profil clients et de leurs émotions. L’IA est et sera un outil qu’il faudra maitriser, alimenter mais il ne remplacera pas l’émotion entre, par exemple, un chef, un plat et un client. Les interstices de la création et de l’émotion ne sont pas, encore, contrôlés par l’IA.

    L’enjeu de la porosité et de l’hybridation

    L'hybridation de la culture et des équipements doit se développer dans l’avenir. Il existe encore beaucoup d'espaces vides qui pourraient être réutilisés à d'autres activités. L’optimisation des espaces, dans l’espace public ou dans les grandes entreprises, pourrait permettre la fluidité entre plusieurs domaines. On voit cet enjeu prendre plus de place à travers notamment ces nouvelles gares qui mettent en lien plusieurs infrastructures autour des transports afin d’améliorer l’intermodalité.

    « Il faut développer l’expérience en gare, même dans les gares de métro. Il faut penser des points de ralliement ou de rencontre entre habitants et touristes. »

    L’hybridation doit se faire aussi dans les métiers. Un serveur de restaurant pourra peut-être animer la soirée ou organiser un concert sur son lieu de travail. C’est aussi une incarnation du flou et de la montée de la porosité de notre époque. Sur la question de la qualification de la filière, on verra le développement de la gamification des offres de formation comme des serious game « augmentés ». Les parcs de loisirs, avec des attractions de plus en plus immersives, devraient proposer plus d’espaces culturels en lien avec leurs thématiques.

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    L’enjeu de la valeur patrimoniale et d’identité de territoire

    Les questions culturelle et patrimoniale vont devenir essentielles et remettre les questions humaines et créatives au centre. Pour cela, il faudra trouver des solutions complémentaires à la technologie ou réinventer des dispositifs en place.

    L’enjeu du vieillissement de la population

    Une question du vieillissement de la population arrive à grands pas. Des clientèles plus âgées mais en même temps des nouvelles clientèles qui viennent de l'international, peut-être plus jeunes. Il va falloir réfléchir et mettre en place de nouveaux services, de nouvelles propositions touristiques liées au vieillissement.

    L’enjeu du départ en vacances

    La question sociétale du départ en vacances est essentielle. C'est un enjeu parce qu'on voit bien que le taux de départ en vacances stagne depuis longtemps.

    « Il y a un vrai enjeu aujourd'hui à repenser le départ des plus jeunes, repenser les colonies de vacances… toute cette question qui tourne autour de l'émancipation par le voyage. De nouveaux dispositifs doivent voir le jour. »

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    L’enjeu du réensauvagement

    Les requêtes autour de la durabilité des écosystèmes, de l'authenticité, de l'hospitalité sont de plus en plus présentes.

    « Il y a un de vrais enjeux pour demain autour du retour vers le sauvage. »

    Vision du tourisme souhaitable pour 2050 : mobilité décarbonée, authenticité et inclusivité

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    En 2050, les offres devraient être quasiment décarbonées, gamifiées intégrant pleinement les écosystèmes avec une hospitalité plus vraie. Le phénomène du nomadisme aura une place de plus en plus prégnante.

    On aura peut-être davantage de micro-industries en parallèle des giga-industries. Les micro-industries du voyage, de la restauration, de l'hôtellerie ou du shopping vont progresser autour de l'artisanat en particulier.

    La mobilité devrait être améliorée avec une meilleure intermodalité dans les transports, une meilleure fluidité avec une accessibilité plus grande à des offres de découverte ou de voyage pour le plus grand nombre.

    « On va peut-être revenir aux fondamentaux du voyage avec la notion de quête et la question culturelle. »


    Interview réalisée en septembre 2024 par Séverine PORTET dans le cadre de Tendances & Prospective

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