Thierry Montalieu est enseignant-chercheur, maître de conférences en Economie internationale à l’université d’Orléans.
Il nous éclaire sur les dynamiques internationales et leurs possibles impacts dans le secteur du tourisme.
Grandes dynamiques internationales
« En 30 ans, nous sommes passés de la mondialisation heureuse à une mondialisation aujourd'hui très largement remise en question. »
La mondialisation a favorisé la mobilité des marchandises, des services, des personnes et des capitaux notamment.
Aujourd’hui, cette ouverture est contestée pour un certain nombre de raisons notamment liées à l'environnement avec des craintes liées à l'excès de mobilité. Il y a également des mobilités qui sont porteuses de craintes.
D’un côté, cette mondialisation a permis l'émergence d'une classe moyenne dans les pays dits émergents. De l’autre, la mondialisation commerciale s'est accompagnée de creusements d'inégalités. Certains pays restent enfermés dans des trappes à pauvreté.
Dès 2009, avec la crise financière, les statistiques du commerce international commençaient déjà à s’effriter. On a notamment vu le volume d’exportations de biens et services rapporté au PIB chuter. La crise sanitaire et les événements plus récents autour du conflit en Russie et en Ukraine et puis les tensions inflationnistes ont nui à cet optimisme dans les relations économiques internationales. Les États-Unis durant le mandat du président Trump ont clairement sorti l'arsenal protectionniste.
Tout ceci a contribué à installer une ambiance générale qui a participé à ce changement de point de vue sur les bienfaits de la mondialisation.
Les dynamiques de renfermement se sont exportées dans tous les secteurs. Même au niveau touristique, nous sommes passés du large sourire à des comportements de rejet des touristes par les habitants comme à Barcelone, par exemple.
Le tourisme reste dynamique avec l'avènement de classes moyennes dans les très grandes nations émergentes grâce à la mondialisation.
« Le tourisme est un bien supérieur. L’élévation du niveau de vie mondial a permis de dynamiser fortement ce secteur. »
Mais le taux de départ en vacances stagne en France.
Vers quels systèmes voulons-nous aller ?
La nécessité de transition écologique change encore plus la donne. Dans ce contexte qui nous est imposé, il n’existe pas de consensus mondial sur qui doit porter l’effort.
Aujourd’hui, on dit aux pays émergents qu’ils doivent réduire leurs impacts environnementaux alors que nous avons largement contribué à la dégradation globale au cours des décennies précédentes. C’est encore davantage difficilement entendable avec l’émergence de leurs classes moyennes qui veulent elles aussi consommer, voyager…
La relocalisation de l'activité industrielle dans des vieilles nations qui avaient beaucoup délocalisées est aujourd’hui l’actualité. Le rapport Draghi qui vient d’être publié, affirme que l'Europe doit se réinventer comme un territoire avec un mouvement de réindustrialisation, de relance dans la compétition à l'innovation car nous l’avons laissé très clairement aux continents nord-américain et asiatique.
Les débats sont de plus en plus présents sur les excès de la mondialisation, dans un contexte où il faut réduire notamment les mobilités, en termes de consommation en général et de tourisme.
Cependant, la pression liée à la notion de durabilité dans le tourisme doit-elle aller jusqu’aux préconisations de 3 à 4 billets d'avion dans votre vie : un pour le voyage de noce, un pour le départ en retraite,… et le reste du temps, les vacances seraient synonymes de randonnées dans les Vosges, en Auvergne ou dans les Pyrénées… ?
Ce ne sera pas le cas pour notre génération mais sûrement pour les générations suivantes. Comment ira-t-on vers cela ? Comme l’envisage M. Jancovici de façon très directive en taxant très fortement les billets d’avion, en mettant en place des permis à points ou par des incitations par les prix (taxation/subvention) ?
Comme pour le reste de l’industrie, le tourisme se relocalise.
« Une nouvelle façon de penser se met en place : relocaliser des activités, réparer les choses plutôt que de les jeter, … »
La géopolitique, un facteur de changement fort.
Le changement qu’il faut prendre en compte c’est la géopolitique mondiale.
« Le monde est nettement moins sûr qu'avant. »
L’affirmation d'indépendance et d'autonomie du grand sud au niveau diplomatique ne sera pas neutre.
Se posent aujourd’hui de vraies questions de sécurité liées à la géopolitique. Celles-ci ont des conséquences sur l'économie avec la problématique de l’indépendance alimentaire qui peut redevenir un vrai sujet. La question de l'indépendance énergétique se pose également. Nous l’avons vu avec nos amis allemands et leur dépendance à l’égard du gaz russe. Sur le plan technologique, le rapport Draghi rapporte que l'Europe et la France ne peuvent plus se permettre de vivre dans un monde où l'essentiel des brevets seraient américain, chinois, japonais et peut-être demain, indien.
Toute cette insécurité géopolitique et économique aura aussi des conséquences sur les flux touristiques à termes. C’est déjà arrivé dans le passé. On peut citer le Maroc ou l’Egypte dont l’économie touristique s’est effondrée à la suite de tensions politiques. Pour être plus optimiste, les politiques de lutte contre la pauvreté et toutes les stratégies qui vont vers des croissances plus inclusives seraient une piste.
La question qui se pose ici est que si la croissance ralentit, elle le sera pour des questions écologiques. Comment rendre la croissance plus riche en emplois simples et en activité très localisée, en permettant une meilleure inclusion ?
« Le tourisme doit se repenser à travers ce spectre : inclure les questions écologiques, relocaliser et être plus inclusif. »
Cela passe par des offres touristiques comme un week-end dans des cabanes dans les arbres ou la découverte de l’artisanat local, … C’est évidemment moins instagrammables que Santorin, Mykonos ou Venise.
Tous ces endroits sont merveilleux et n’ont pas besoin d’un million de touristes. Nous savons tous que ce sont des endroits magnifiques. Nous les voyons dans les reportages ou en feuilletant le magazine Géo.
« Ne faudrait-il pas plutôt se rendre dans des zones dans lesquelles la concentration est moins forte. Il y a probablement un équilibre territorial qui pourrait être plus satisfaisant en termes d'aménagement. »
Le tourisme à l'horizon 2050, une vision souhaitable
« Le souhaitable serait d’aller un équilibre global local. »
C’est tout à fait faisable et de toutes façons, nous n’aurons plus le choix.
Alors, est-ce que ça passera par des hausses de prix des billets d'avion, par des décisions très coercitives, quasi réglementaires, par un permis à points carbone ? Nul ne le sait.
« Les merveilles du monde n'ont pas besoin des touristes pour exister. »
Evidemment, c’est important pour ceux qui vivent sur place. Il faut le faire dans un équilibre, en gérant la concentration des flux.
On ne peut plus continuer ainsi, sur ces modèles.
L’économie touristique basée sur l’expérience et le savoir-faire est une chose sur laquelle il faut capitaliser.
Par exemple, à Grasse, on peut faire dans un atelier de création dédié aux touristes l’assemblage de parfums après la visite. Ces parfums peuvent ensuite être achetés.
Cette idée pourrait être déclinée à l’infini.
« Ce qui compte sur le territoire en matière de tourisme, ce n’est pas forcément une beauté absolue des paysages. C'est aussi, les habitants qui vivent là et qui ont des savoir-faire à partager. »
Ça peut aussi être la gastronomie, l'artisanat, des activités physiques qui sortent de l'ordinaire.
« Si on saupoudre cela sur le vaste monde, on évitera l'excès de concentration et l'excès de mobilité. Il faut faire preuve de créativité. »
Le numérique et l’intelligence artificielle vont aussi faire bouger les choses dans le tourisme. On va pouvoir vivre des expériences sans bouger. On pourra se reposer à la campagne mais aussi vivre en même temps des expériences via la technologie.
Nous ne serons pas forcément sur une pirogue au milieu de la forêt amazonienne ou en train de grimper au sommet de l'Everest. Les images terrifiantes des embouteillages sur l’Himalaya nous aident à prendre conscience de tout cela. Ce sont des choses que nous n’imaginions pas il y a 30 ans. Sur l’Ile de Ré dont je suis originaire, les habitants en ont marre des embouteillages de vélos les week-ends du mois de mai notamment.
« Il faut imaginer une autre mobilité, intellectuelle, imaginer des équipements où l’on a envie de passer des vacances pour se reposer, sans forcément cocher toutes les cases de ce qu'il faut absolument avoir vu en une semaine au Népal. »
Si vous étiez un voyage en 2024 ?
Si j'étais un voyage en 2024, je serais un voyage de travail en Afrique, à Yaoundé, pour des motifs professionnels durant lequel je visiterais pendant quelques temps de pause.
Si vous étiez un voyage en 2050 ?
En 2050, je rêverais sur les bords de l'Atlantique, si je suis encore là.
Interview réalisée par Séverine PORTET dans le cadre de la démarche Tendances & Prospective, en octobre 2024.
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