Guillaume Cromer est consultant et dirige le cabinet créé depuis 15 ans, ID tourisme qui est basée à Grenoble. Il accompagne principalement les collectivités territoriales sur leur stratégie de développement touristique en intégrant les enjeux de développement durable.
Il a aussi été, pendant 8 ans, Président d’Acteurs du Tourisme Durable et est toujours membre du bureau de l’association. Il est aussi engagé auprès d’une autre association locale, 2TM, Transition des Territoires de Montagne.
Ces dernières années, l’imaginaire collectif du voyage a beaucoup évolué. On a beaucoup consommé de voyages longs courriers. Aujourd’hui et ce de plus en plus, le comportement touristique peut choquer. Le regard est devenu plus conscient concernant l’impact du tourisme : voir des gens qui prennent l’avion pour partir à l’autre bout de la planète pour une semaine peut être mal perçu. Le voyage peut et doit se concevoir sur du dépaysement de proximité. On le voit notamment avec le boom de la micro-aventure.
« Le voyage ce n’est pas forcément aller loin ».
Guillaume Cromer
Cette tendance du voyage de proximité, au pas de sa porte, a des chances de durer.
Il y a évidemment toutes ces nouvelles technologies immersives. Mais elles ne suffisent pas. Il faut sortir de la maison pour voyager. Le voyage c’est de l’émotion que l’on ne retrouve pas forcément en mettant un casque de réalité virtuelle dans son salon.
« Les voyages ce sont des respirations, des rayons de soleil, des odeurs…. le métavers restera encore longtemps très synthétique, très artificiel.
Le métavers sera le prolongement de l’internet pour les découvertes et les recherches d’avant séjour par exemple. »
Guillaume Cromer
Il a déjà réfléchi à la question « voyage virtuel » versus « changements climatiques ». Il y a des destinations notamment les destinations insulaires pour lesquelles cela va être compliqué, qui vont être en danger avec les nouvelles réglementations sur l’aérien notamment. Comment ces destinations pourront-elles encore accueillir du tourisme de masse ?
Ces destinations seront-elles obligées de se tourner uniquement vers des clientèles très aisées, qui auront les moyens de payer des taxes supplémentaires sur les billets d’avion ?
Aucun des scénarios prospectifs de l’aérien à l’horizon 2050, ne montrent que nous allons vers une baisse des prix et une démocratisation des voyages en avion.
Il va donc falloir anticiper des changements et peut-être que le virtuel sera nécessaire.
« C’est triste mais nous avons des limites planétaires et nous sommes obligés de vivre avec. »
Guillaume Cromer
Le changement de comportement en matière de tourisme durable ne viendra pas de la demande.
« Il n’a pas de traction forte de la part des consommateurs en matière de tourisme durable ».
Guillaume Cromer
Les dernières études GreenFlex concernant la consommation responsable des Français, permettent de voir qui sont les Français qui ont fait évoluer leurs consommations, c’est-à-dire ceux qui n’achètent plus que bio local, qui limitent leurs consommations de vêtements ou se fournissent en la seconde main, achètent sur le Bon Coin…. Cette population représente seulement 10% des Français. A côté de cela, il y a un « ventre mou » de Français, sensibilisés sur des petites choses mais qui ne modifient pas en profondeur leur comportement.
« Nous serons obligés de passer par de la réglementation pour le tourisme durable d’autant plus qu’il y a une vraie urgence. On ne peut pas attendre que le consommateur se décide ou reporte la problématique sur les générations les plus jeunes. »
Guillaume Cromer
Il faut réduire drastiquement les gaz à effets de serre à l’horizon 2030 et cela ne passera pas simplement par une évolution de la consommation. Il faut du courage politique pour imposer des réglementations fortes pour réduire notre empreinte carbone. Nous sommes à un tournant. Pourtant les consommateurs ne sont pas encore totalement prêts à la sobriété. La croyance pour des techno-solutions qui ne nous obligeraient pas à changer en profondeur nos comportements est bien agréable. Les destinations touristiques sont les plus conscientisées sur le côté durable. Ce sont encore des signaux faibles bien sûr. Les destinations commencent à se poser des questions par rapport à leurs performances touristiques qui ne se traduit par pas forcément par une performance en termes de volume de touristes mais plus en termes de retombées économiques locales, de bilan carbone de leur tourisme…
« J’ai une belle confiance dans les destinations touristiques pour le tourisme durable. Chez Acteurs du Tourisme Durable, le nombre de nos adhérents explose ces deux dernières années. »
Guillaume Cromer
Les destinations sont des vraies locomotives professionnelles pour le tourisme durable.
Le besoin de naturalité a été une forte demande suite et pendant la crise sanitaire. Dans les années à venir, il va falloir prendre en considération ce besoin de l’humain d’aller dans la nature. La question de l’accès à la nature doit se poser en France et en Europe. Il ne va pas falloir faire n’importe quoi. Il s’agit de savoir à présent comment on anticipe et comment on cadre ce besoin de naturalité et cet accès à la nature des visiteurs ? C’est une réflexion portée actuellement par les Parcs Naturels Régionaux notamment.
Nous sommes dans une société ultra numérique et cela va continuer quand on voit les importants volumes financiers investis dans le digital. Il va falloir se poser la question de la réduction de l’impact carbone du digital. C’est un enjeu de transition énergétique lié à l’utilisation (et la production) d’une énergie plus verte. On incrimine souvent notre secteur, le tourisme, sur son impact carbone. Mais, il faut le mettre en perspective avec l’empreinte carbone des personnes qui utilisent internet. Si Internet et le tourisme représente la même part d’émissions de CO2 sur la Planète, il n’y a qu’une part minime de la population qui part en voyage alors qu’Internet devient une norme pour tous. Outre son empreinte carbone, au cœur du digital se pose aujourd’hui un autre enjeu prégnant, celui de la souveraineté des données.
« Je suis pour la décroissance, celle définie dans la vision de Kate Raworth et sa théorie du Donut. »
Guillaume Cromer
La théorie du Donut explique qu’il faut que l’on ait un développement économique et social qui doit être en dessous des 9 plafonds écologiques et au-dessus d’un socle social. C’est à l’intérieur de ce cercle là que nous devons faire du développement économique. C’est ainsi que j’imagine la décroissance. C’est faire ce pas de côté nécessaire pour changer de regard sur le développement économique. Maintenant, quand on veut mettre en place un nouveau Schéma de Développement touristique, il faut que l’on s’interroge sur ce que l’on veut, poser les bornes supérieures et inférieures : s’interroger sur la stratégie bas carbone, sur la stratégie de biodiversité du territoire etc…. Au sein de ces bornes, la stratégie et les actions peuvent ensuite être définies dans le but de développer les retombées économiques locales.
« Il faut arrêter de chercher le toujours plus. »
Guillaume Cromer
La décroissance porte sur l’aspect environnemental. Mais, cette nouvelle manière de penser le tourisme et les territoires générera des emplois. C’est là où nous devons amener de l’intelligence et du génie. Comment peut-on réduire l’impact écologique de notre secteur sans détruire retombées économiques et emplois dans les destinations ?
« Kate Raworth, économiste qui se consacre aux défis sociaux et environnementaux du 21e siècle, est l’autrice de « La Théorie du Donut, l’économie de demain en 7 principes » L’objectif de cette théorie est de repenser l’économie, pour parvenir à répondre aux besoins humains de base et la préservation de l’environnement. « Par l’image d’un simple donut, Kate Raworth est parvenue à démontrer les changements nécessaires à opérer dans la pensée économique pour prendre en compte la réalité d’aujourd’hui et les défis de demain. »
« La réflexion, qui a abouti à la Théorie du Donut, prend progressivement forme : comment allier les enjeux de justice sociale aux enjeux environnementaux, pour orienter l’économie en faveur d’un développement durable et juste ? Les sciences naturelles ont défini les limites extérieures, « le plafond ». Pour Kate Raworth, la justice sociale permet de définir les limites intérieures, « le plancher ». Ces limites relèvent des droits humains, des besoins essentiels attachés à chaque personne pour assurer son épanouissement. A partir du diagramme initial, entre les limites extérieures et intérieures, se dessine une forme bien reconnaissable… un donut. Au sein de celui-ci se trouve l’espace sûr et juste pour l’humanité, dans lequel peut prospérer une économie inclusive et durable".
« Les signes de dépassement des limites sociales et planétaires se sont multipliés ces dernières années et sont partout aujourd’hui : multiplication et amplification des vagues de chaleur et des incendies, intensifications des inondations, mobilisations sociales partout dans le monde face à l’explosion des inégalités, la pauvreté et la faim qui repartent à la hausse. »
« A cette vision linéaire, Kate Raworth oppose celle, circulaire, du donut. Le processus industriel actuel est linéaire et dégénératif. Les ressources de la planète sont captées, transformées, utilisées puis rejetées. Ce processus, qui alimente d’un côté la déforestation, la combustion d’énergies fossiles, l’utilisation massive d’engrais, et génère à l’autre bout du CO2, des polluants, est la raison derrière le dépassement actuel des limites planétaires.
Ce système linéaire n’est pas le seul possible. Il constitue un choix. Il est aussi possible d’agir pour aller vers un système circulaire, du donut, régénératif. Les déchets peuvent se recycler et venir alimenter une économie circulaire. Au lieu même de recycler, il est possible de réutiliser, de réparer, de partager. Cette économie régénérative repose également sur les énergies renouvelables au lieu des énergies fossiles.»
En avril 2020, Amsterdam est devenue la première ville au monde à instaurer le concept d’économie du donut dans ses choix de politiques publiques. En pleine pandémie de Covid-19, la capitale des Pays-Bas a fait le pari d’adopter un plan de relance qui associe justice sociale et transition écologique. Au niveau du logement par exemple, la municipalité mise sur la construction de logements moins polluants et accessibles au plus grand nombre, en misant sur les techniques de l’économie circulaire et l’utilisation de matériaux à faible impact carbone. La ville a aussi mis en place des programmes de recyclages d’ordinateurs qui sont ensuite proposés aux personnes les plus modestes. Ce sont aussi des jardins individuels et des projets d’agriculture collective qui fleurissent un peu partout. »
Source: Extraits et images de Qu'est-ce que la Théorie du Donut de l'économiste Kate Raworth ? - Oxfam France
La question de la mobilité est un vrai signal faible. De nombreuses personnes dans les villes n’ont plus de voiture, le prix des carburants explose. Les destinations avec l’appui des professionnels privés recherchent de plus en plus des solutions de mobilité, d’intermodalité. La réflexion tourne autour des gares et des possibilités de les transformer en hub pour proposer des services de location de véhicules entre particuliers, de locations de véhicules de vélos à assistance électrique…Ce sont des solutions très intéressantes qui répondent à de vraies attentes et qui sont très bas carbone. Il y a un superbe imaginaire à construire sur du design de l’offre qui répond à un vrai besoin. C’est un sujet à creuser à la fois en termes d’entreprenariat et à la fois en termes de politique touristique et politique de mobilité.
L’Organisation Mondiale du Tourisme fait toujours référence à l’année 2019, et le recul pris à cause de la crise sanitaire.
« Pour moi 2019, sera le point haut qui ne sera jamais plus atteint ».
Guillaume Cromer
Le plafond écologique ne pourra plus être dépassé pour respecter les engagements pris par les états et les stratégies bas carbone. On va devoir adapter et on n’arrivera plus à revenir vers les données de fréquentation que nous avions auparavant concernant les touristes internationaux.
Il faut réduire de 40% nos émissions de gaz à effets de serre par rapport à l’année de référence qui est 1990.
« J’aimerais que dans les prochaines années, nous puissions mettre en adéquation stratégie touristique et stratégie bas carbone."
Guillaume Cromer
Il nous faut une vraie transparence en chiffres qui confronte stratégie touristique et stratégie bas carbone nationale. Il faut que nous puissions évaluer au fur et à mesure, grâce à des graphiques en temps réels, cette adéquation entre stratégie touristique et stratégie bas carbone.
"Mon ambition pour 2030 : réinventer le tourisme en le mettant en adéquation avec les stratégies bas carbone.»
Guillaume Cromer
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