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    Eclairage sur l'avenir du tourisme par Rémy Knafou

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    Rémy Knafou est professeur émérite de géographie à l'université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne.
    Il nous éclaire sur sa vision du tourisme d'aujourd'hui et de demain.

    5 choses à savoir sur Rémy Knafou

    Le tourisme réflexif, c’est quoi ?

    Le tourisme réflexif est un tourisme qui favorise les questionnements - et les remises en cause qui en découlent - de tous les acteurs concernés. Autrement dit, il propose une démarche ainsi qu’une boite à outils permettent de concevoir puis de mettre en œuvre d’autres manières de faire du tourisme, de produire du tourisme, d’être touriste.

    L’une de ses caractéristiques est qu’il ne propose pas de recette prête à l’emploi, mais la manière d’arriver à inventer collectivement des solutions adaptées aux destinations ou aux entreprises, du sur mesure en quelque sorte, mais dans un cadre commun qui est l’avancée du tourisme dans la « transition juste » (l’alliance de la recherche de la décarbonation et de la démocratisation, les deux principaux points faibles du tourisme actuel).
    Il s’agit donc de se donner les moyens de réfléchir à ce que pourrait être un autre tourisme. Un tourisme qui crée les conditions d’une réflexion en profondeur pour le touriste mais aussi pour ceux qui portent le tourisme, les acteurs qui pensent son avenir.

    « Le tourisme réflexif, c’est une expérience porteuse de sens pour celui qui l'organise, le professionnel ou pour celui qui la vit, le touriste. »

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    L’un des constats qui sous-tend sa réflexion est que le touriste ne sait pas toujours où il se trouve, avec différents niveaux d’ignorance ou d’incompréhension. Ce constat est notamment né lors de l’étude qu’il a mené, il y a quatre décennies, auprès des clients du Club Méditerranée. Il a interrogé les touristes de retour à l’aéroport à Paris, d’un séjour en village du club. Tous étaient capables de dire quel était le nom du village Club Med, mais tous n'étaient pas capables de dire dans quel pays il se trouvait, ou de parler du territoire en dehors du village. Cela ne les intéressait pas. Sans juger les personnes, ce qui est intéressant est de voir comment ils pensaient leur séjour et leurs vacances. Ils étaient très contents en général de la manière dont les choses s'étaient passées, mais ce qui les avaient intéressés, c'était la vie et les activités dans le club. On sait que le club a diversifié les possibilités de sorties ensuite mais globalement ces lieux sont restés repliés sur eux-mêmes.

    Ce qui l’a intéressé c’est d’observer les pratiques des touristes et comment on peut réfléchir sur la manière de collectivement faire en sorte que le système touristique soit plus vertueux qu'il ne l'est à l'heure actuelle.

    Les lieux sont souvent performants pour faire venir des touristes mais une fois que les touristes sont sur place, le monde du tourisme est moins bon pour leur expliquer ce qu’est le lieu qu’ils visitent ou dans lequel ils séjournent.

    Il y a aussi tous les acteurs à proximité du site, les commerçants, les restaurateurs, les hôteliers, toutes les personnes avec qui le touriste est en contact et qui vont pouvoir apporter des réponses ou créer des échanges, les conditions de compréhension du lieu.

    Il existe des lieux qui peuvent offrir des expériences intéressantes, mais auxquels on ne prête pas attention. D'ailleurs, les lieux touristiques, de manière générale ne considèrent pas suffisamment le touriste comme un habitant.

    « Pour moi le touriste est aussi un habitant, un habitant temporaire. »

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    Or, le touriste est aussi un habitant, un habitant temporaire. Ce n'est pas parce que c'est quelqu'un qui ne fait que passer parfois quelques heures, une nuit, deux nuits, trois nuits... qu’il faut négliger aussi bien ses attentes que le rôle qu’il va pouvoir jouer sur le lieu, par le choix du lieu d’abord, puis par ses pratiques du lieu et ses dépenses. Ainsi, même si ce sont des anonymes qui se succèdent dans le même lit « dit » touristique, au total, cela constitue quand même une population qui est présente, dans l’espace public comme dans toutes sortes de lieux, qui joue un rôle dans la vie du lieu, dans son fonctionnement comme son éventuel dysfonctionnement.

    C'est là un des éléments essentiels du tourisme réflexif : prendre le touriste au sérieux, le considérer comme un habitant, même s'il ne fait que passer, faute de quoi on se prive à la fois de comprendre le rapport qu’un touriste peut avoir avec un lieu – en particulier les conditions de son appropriation du lieu, même passagère – et de ce que le renouvellement permanent d’une population extérieure apporte au lieu : l’apport économique est bien connu, mais en particulier il ne faut pas négliger le changement du regard de la population résidente sur son cadre de vie habituel.

    « Le tourisme réflexif vise à créer une expérience en profondeur de l'ailleurs qui est porteuse de sens pour celui qui la vit, celui qui l'organise. »

    Cela revient à mobiliser, par toutes sortes de moyens, les capacités de toutes personnes à se questionner, à questionner ses pratiques vacancières, ses modes de transport.

    Au second niveau, l’objectif général du tourisme réflexif est d’être à la fois une démarche et une boîte à outils au service de l'élaboration d'un nouveau modèle de fonctionnement du tourisme. Pour y parvenir, la première étape est la réalisation d’un audit réflexif, c’est-à-dire d’un diagnostic doublement adapté à la spécificité du lieu et à l’objectif recherché. Il ne peut y avoir de mise en œuvre du tourisme réflexif que par la combinaison d’une démarche globale et d’une intégration des caractères propres du lieu considéré dans le temps long, son fonctionnement actuel et ses capacités d’évolution vers un modèle porteur d’un avenir plus assuré.

    « L'enjeu fondamental est d'arriver à produire un nouveau modèle de fonctionnement de tourisme parce que le modèle actuel n’est pas satisfaisant. »

    À l'échelle macroéconomique, le système touristique mondialisé qui est un système qu’on peut juger sans pilote, ingouvernable et irresponsable. Il constitue l'environnement dans lequel tous les acteurs du tourisme œuvrent et ce système-là, par ces blocages tarde à entrer avec détermination dans la transition juste, parce qu’il se définit par une concurrence généralisée entre tous les éléments du système touristique : concurrence entre les entreprises, les États, les destinations.

    Depuis quelques années, le nouvel objectif de la France dans le domaine touristique est d'en faire la première destination du tourisme durable au monde. Mais en même temps, on essaie de faire revenir les touristes de marchés lointains, ce qui est une contradiction fondamentale par rapport à la « durabilité », puisque sa mise en œuvre suppose avant tout de se préoccuper de son empreinte carbone. Faire venir des touristes de l'autre bout de la Terre, même si ce sont les touristes les plus rémunérateurs, est donc une contradiction fondamentale, dès lors qu’on poursuit l’ambition de se présenter au monde comme la destination touristique la plus durable. Dans un système de concurrence généralisée, on comprend que les États se trouvent dans une contradiction insoluble, pris en tenaille entre le souci de maintenir un niveau d’activité économique toujours plus élevé et la mise en œuvre d’un tourisme responsable qui suppose aussi l’extension de pratiques et de politiques de sobriété.

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    Identifier des possibilités d’évolution positives

    Dans ce contexte, il importe d’identifier des possibilités d'évolution positives.

    Ce n’est pas du côté des États que l'on peut les trouver parce que les États sont en position de concurrence objective les uns par rapport aux autres : après le COVID, la compétition est repartie de plus belle entre les principaux pays touristiques. En revanche, on peut voir des possibilités d'évolution du côté des entreprises, parce que tout en étant soumises à la concurrence, elles sont aussi sensibles à l'évolution des marchés et aux injonctions sociétales (du moins pour celles qui ont clairement choisi d’œuvrer en faveur d’un autre tourisme, ce qui n’est pas le cas de toutes : en effet, nombre d’entreprises se contentent d’un greenwashing de façade tout en déployant beaucoup d’habileté pour retarder les échéances, en particulier en reportant la responsabilité sur les touristes, c’est-à-dire leurs propres clients). Les labels responsables, ceux avec des certifications sérieuses, aident le système des entreprises touristiques progressivement à réorienter leurs objectifs et c’est aussi le cas pour les destinations qui, en matière de durabilité, ont une marge de manœuvre supérieure à celle des États. Il y a aussi beaucoup à attendre du côté des touristes du fait des prises de conscience qui se développent.

    Mais, la prise de conscience ne suffit pas, il faut que cela conduise à un changement véritable de pratiques – lequel finira par peser à la fois sur les entreprises et sur les États - et c'est là que le tourisme réflexif peut être utile dans ce passage de l'un à l'autre. Il nous faut donc considérer deux types d’éléments qui, dans le système actuel, disposent d’une marge de manœuvre suffisante pour pouvoir le faire évoluer : d’une part, les destinations ; d’autre part, les touristes.

    Dans une approche réflexive, les destinations ont une importante carte à jouer dès lors qu’elles sont « mûres », c’est-à-dire anciennement développées, aménagées et dotées d’une notoriété touristique établie. À partir de là, l’apport de la démarche du tourisme réflexif est de se donner les moyens d’aller vers un nouveau modèle de fonctionnement du tourisme reposant sur le refus de la fuite en avant qui consiste à vouloir sans cesse accroître les capacités d’accueil et ayant pour objectif la recherche d’un point d'équilibre : d’où le concept de « territoire d’équilibre ». Celui-ci suppose de privilégier la réhabilitation des logements existants plutôt que la construction de nouveaux hébergements, l’intensification de l’exploitation touristique, notamment en se donnant les moyens d’allonger la saison touristique – ce qui suppose une réelle adhésion des acteurs touristiques, non acquise à cet objectif la plupart du temps -, la recherche de clientèles moins lointaines, etc. Il est évident que l’entrée dans un processus de recherche d’un point d’équilibre suppose la définition collective d’objectifs d’intérêt général à atteindre et l’organisation d’une concertation de tous les acteurs débouchant sur un contrat d’engagements mutuels, afin d’entamer une transition d’un modèle de développement touristique à un autre.

    « Un point d’équilibre est la situation dans laquelle un territoire touristique peut continuer à bien vivre du tourisme sans pour autant poursuivre dans cette logique infernale de fuite en avant, qui gaspille et artificialise les sols, nuit à la biodiversité et compromet l’acceptabilité du tourisme par la société d’accueil. »

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    Renouveler les imaginaires touristiques

    Les touristes ont aussi un rôle important à jouer : leur sensibilité aux réponses à apporter au réchauffement climatique pèse déjà sur certains marchés, ce qui entraîne des adaptations des entreprises, voire l’émergence d’entreprises nouvelles souhaitant anticiper sur certaines évolutions sociétales.

    Mais la généralisation de cette tendance se heurte à beaucoup d’obstacles : l’inégal degré de prise de conscience de l’urgence selon les parties du Monde et, dans les pays occidentaux à haut niveau de vie, on voit bien que la prise de conscience ne suffit pas à modifier les pratiques.

    Ainsi, en France, les enquêtes montrent que les plus jeunes ont une prise de conscience bien plus aigüe quant au réchauffement climatique car ils ont bien compris qu’ils allaient devoir vivre sur une planète de plus en plus chaude (le ministère de la transition écologique, à l'heure actuelle planche sur l’hypothèse « + 4 degrés » en fin de siècle). Mais quand on interroge ces mêmes jeunes sur leurs pratiques de l'avion, on s'aperçoit qu'ils ont recours l’avion, à niveau de compétences financières égales, en propension supérieure à leurs aînés. On pourrait le penser comme une inconséquence ou une contradiction. C'est seulement le résultat d’une situation objective quand on a grandi dans une société où l’avion faisait partie du champ des possibles : et ce encore plus quand l’avion est malheureusement moins coûteux que le train…

    « Moi, j'appartiens à une génération qui, dans sa jeunesse, prenait peu l’avion. Avant, ne prenait l'avion qu'une minuscule frange de la population et l'aérien n'avait pas du tout la même fonction qu'à l'heure actuelle. »

    On a donc là un bel exemple de décalage entre la prise de conscience et la pratique. La prise de conscience est une condition nécessaire mais pas suffisante. D’où l’utilité de situations et de dispositifs aidant à passer de la prise de conscience à la pratique, dans un contexte de conformisation sociale : il s’agit en effet de décisions individuelles prises sous l’influence du collectif ; les deux vont de pair et sont en interaction.

    Il importe donc de développer des dispositifs innovants localisés sur certains sites qui seraient suffisamment répétitifs pour que cela favorise l'élargissement de l'utilisation de ce type de dispositif via le mimétisme et une diffusion plus large après une médiatisation pour diffuser à l’ensemble de la population la possibilité de nouvelles pratiques pour faire en sorte que les choses changent.

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    « Les mécanismes qui sont en cause sont là. Il s’agit de renouveler l'imaginaire touristique. Nous sommes à l'heure actuelle dans un imaginaire touristique dominant façonné par le tourisme international. »

    Le tourisme international est une pratique très minoritaire dans le monde, mais qui a façonné durablement notre imaginaire touristique. Une partie importante de la population française ne part pas en vacances tous les ans et parmi les Français qui partent en vacances, c’est une petite minorité qui sort des frontières et/ou qui utilise l’avion.

    Le poids du tourisme international est donc en décalage profond avec les pratiques réelles des Français. Les pratiques réelles des Français ce n’est pas le tourisme international et le tourisme marchand. Le tourisme non-marchand est dominant dans les pratiques des Français, phénomène qui s’est confirmé pendant la crise sanitaire.

    Il existe la possibilité de davantage faire coïncider l'imaginaire des gens avec leurs pratiques et de ne plus susciter des rêves qui seront inaccomplis pour la majorité des gens sauf pour ceux qui en ont les moyens financiers.

    Travailler les sites touristiques

    Les lieux touristiques ont été créés à partir du moment où le tourisme a été inventé fin 18ème, début 19ème siècle et aucun de ces lieux n’a disparu : ils sont toujours là aujourd’hui, plus ou moins transformés.
    La révolution industrielle a été concomitante de la révolution touristique mais la plupart des sites industriels fondés sur l’exploitation du charbon et de l’acier ont disparu dans l’Europe du nord-ouest, terre d’invention du tourisme. On peut en déduire que ce qui dure dans le Tourisme, c'est le Tourisme lui-même. C’est pourquoi, lorsqu’on a traduit en français « sustainable tourism » en « tourisme durable », on a commis une lourde erreur en donnant naissance à une ambiguïté dont nous ne finissons pas de payer le prix.

    « A chaque fois que le tourisme se développe, il transforme puissamment la société de manière irréversible, il transforme l'environnement de manière aussi puissante, si ce n'est plus, et en général de manière aussi irréversible. »

    Il n’y a rien de durable là-dedans. D’autant moins que rien n’est fait pour juguler cet appétit de conquêtes par le tourisme, dès lors que cela continue de rapporter.

    Il nous faut inventer un tourisme soutenable, un tourisme qui a la capacité de parvenir à un état d'équilibre permettant à un territoire de vivre en renonçant à la logique du « toujours plus » que l'on observe un peu partout et qui se traduit par une artificialisation croissante des sols, des atteintes de plus en plus nombreuses à la biodiversité, le recours à davantage d'énergie fossile…

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    « Le tourisme réflexif est une démarche permettant d’arriver à un nouveau modèle de fonctionnement fondé sur les destinations mûres type France. »

    Dans le contexte français, c’est-à-dire pour des territoires touristiques qui pourraient être en équilibre, le tourisme réflexif intègre la prise en compte de l’impact du tourisme sur l’environnement, la relation entre la destination et l’habitant.
    L'objectif premier est de permettre aux touristes de comprendre les lieux dans lesquels il vit pour en faire une expérience plus riche, plus intéressante, plus construite et, ainsi, plus facilement acceptée par la société d’accueil. Les formes de rejet du tourisme les plus virulentes sont la conséquence des pratiques touristiques les moins respectueuses des lieux et de leur population permanente ; mais ces pratiques inciviles, voire délinquantes, peuvent aussi être favorisées par des acteurs du lieu qui les permettent, voire les favorisent car ils en vivent. Les situations de non acceptation du tourisme sont toujours complexes et appellent des traitements à la fois complexes et spécifiques, dans le cadre d’une pensée globale du tourisme que permet la démarche du tourisme réflexif.

    Quels sont les enjeux et les problèmes d'avenir du lieu ? Si on appliquait cette démarche réflexive, on aurait des stratégies plus éclairées et moins au fil de l'eau dans la gestion des lieux tenant compte de tous les niveaux, car il faut véritablement penser le tourisme globalement.
    Les lieux touristiques en Europe notamment, sont présents depuis longtemps et nous permettent d’envisager le temps long ce qui est indispensable pour pouvoir penser l'avenir. Ces lieux doivent nous permettre de penser aussi bien le passé, le présent et l'avenir.

    Pour le moment, c’est assez théorique, il faut mettre en pratique, éveiller la curiosité des visiteurs. La curiosité est un élément fondamental, on voit bien dans la manière dont fonctionnent les touristes quand ils visitent des lieux. C'est en éveillant leur curiosité que l'on peut permettre de faire passer un certain nombre d'éléments de compréhension, voire de messages.

    Tous ces éléments font la démarche du tourisme réflexif.

    « Ce qui me paraît souhaitable, c'est d'ouvrir le champ des possibles et non de fournir une expérience clé en main. »

    Il faut laisser le libre arbitre à l'individu, la possibilité de se manifester et de créer une interaction avec le lieu. Un trop plein d’informations peut aussi être bloquant.

    Par exemple, à Berlin au milieu des pavés de la BebelPlatz, devant l'université, a été installée une dalle de verre à l'intérieur de laquelle on voit des rayonnages blancs vides. C’est la bibliothèque engloutie. Quand on se promène sur cette place la première fois, c’est surprenant et ça attire l’œil. Tout le monde se rassemble pour venir voir. Mais là, le sens de ce dispositif n'est pas évident du tout. Une plaque qui explique est à distance et est en allemand. Le touriste étranger qui ne connaît pas l'allemand ne comprend pas ce qui se joue. Un processus se met en place, c'est à dire qu’on se demande ce que c'est, qu'est-ce que cela représente ?

    Le mécanisme explicatif est salutaire parce que si on fait un monument aux morts et devant lesquels les gens passent dans l’indifférence, ça ne créé strictement aucun intérêt et il n'en sort rien. Tandis qu’à partir du moment où l’on commence à se poser des questions et quand on comprend que c'est une manière de marquer la mémoire de ce qui s'est passé à cet endroit en 1933, c'est à dire le premier autodafé de livres par les nazis, c’est un signal fort qui amène à réfléchir. C’est fort et on ne l’oublie pas. C’est un exemple de dispositif avec du sens et créant une expérience qui amène les touristes à réfléchir.

    « Le tourisme réflexif, c'est créer les conditions d'une réflexion. »

    On peut aussi citer l’exemple du bancs-statue de Karol Badyna installé au cœur de l’ancien quartier juif de Cracovie pour commémorer le centenaire de la naissance de Jan Karski, résistant polonais qui témoigna du génocide des Juifs devant les Alliés. Des observations de terrains montrent que les touristes regardent, qu’ils se font photographier à côté. Du reste, le banc est fait pour que l’on s’assoit à côté et que cela devienne l’objet d’une photo.

    Mais ensuite ? 95% des gens qui passent ne savent pas qui était Jean Karski.
    Finalement, qu’est-ce que signifie cette installation pour la majorité des visiteurs ?
    Ça ne sert à rien du point de vue de la compréhension du lieu et de l’action de Jan Karski.

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    Comment le voyage et l'industrie vont évoluer dans le futur ?

    La question est double : comment ils vont probablement évoluer et comment ils devraient évoluer.

    Il n'y a pas de révolution touristique sans énergie fossile. L'activité touristique a été tout au long de son histoire, liée aux énergies. On va continuer à ajouter de nouveaux modes énergétiques, des modes plus doux à des modes durs existants sans retrancher ceux existants aujourd’hui.

    Comment devraient-ils évoluer ? Ce qui est souhaitable, c'est le contraire de ce qui est en train de se produire, c'est à dire la diminution du recours à l'avion, en particulier les longs courriers, ce mode de transport des plus riches dont les effets affectent toute la population de la Terre.

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    Cela passe aussi par la remise en cause de l'aberration environnementale que constituent les navires de croisière, puisqu'on continue à lancer des navires qui avaient été conçus avant le Covid à l’image du dernier « Icon of the Seas » qui transporte 10 000 personnes (dont 7600 passagers).

    On peut envisager une première hypothèse d’ordre géopolitique pour le futur, c’est l’hypothèse d’une fragmentation du monde alors même que tous les plans de développement du tourisme, par exemple de production des avions et les projections d'Airbus ou de Boeing, affichent des hausses. Cette fragmentation aura des effets sur les flux. Au vu de cette hypothèse qui paraît sérieuse, il serait souhaitable, au moins d'apprendre à rechercher des clientèles plus proches et trouver un autre état d'équilibre sans compter systématiquement sur les clientèles lointaines, les plus vulnérables aux conflits comme aux prochaines pandémies.

    Un signal qui est important et que nous devons prendre en compte, est la diminution tendancielle du stock des énergies. Le pic de l'exploitation du pétrole est déjà passé, celui du gaz naturel n'est pas loin. Il va y avoir des conséquences qui vont affecter puissamment le secteur des transports et du tourisme.

    D’autres critères doivent aussi être pris en compte. Selon une enquête de la FNAIM portant sur l'évolution des prix de l'immobilier sur le littoral, dans les communes littorales affectées par des risques de submersion ou de risques d'effondrement des falaises, les prix augmentent certes moins que sur l'ensemble du littoral mais continuent à augmenter, alors qu’ils diminuent sur presque tout le reste du territoire national. C’est un déni tout à fait intéressant de la part des candidats à l'achat. Le marché immobilier est intéressant à étudier pour voir à quel point il existe un décalage entre la prise de conscience et les pratiques, ces dernières s’appuyant sur l’espoir qu’on a encore le temps. Or, ce que montrent finalement les évolutions du climat en France en particulier, c'est que le dérèglement va plus vite que ce qu'indiquaient les études du GIEC. Les experts eux-mêmes sont surpris.

    Ce qui se passe en Norvège est aussi révélateur. Depuis plusieurs mois, dans certains territoires, la formation d’un anticyclone récurrent empêche la pluie de tomber sur ce littoral pourtant habituellement très arrosé. En mars, la température dans les grands fjords du centre du pays était presque deux fois plus élevée qu’à Paris. Si le réchauffement est général, il est à la fois différencié et porteur d’anomalies croissantes avec des effets souvent imprévisibles.

    Réconcilier destination et voyage

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    Dans le livre de Stevenson, « Voyage avec un âne dans les Cévennes », une phrase interpelle : « L'important, ce n'est pas la destination, c'est le voyage ».
    Cette phrase amène à réfléchir. Dans certains cas, c'est le parcours qui prime. C’est le cas pour le Transsibérien par exemple. L'objectif était de prendre le train sur une très longue durée, d'arriver à Vladivostok. Ce n'est pas un lieu qui fait particulièrement rêver, ce qui fait rêver, c'est le la traversée elle-même, le train sur une longue distance.
    C'est un imaginaire très particulier qui n'est pas du tout dominant. A l'heure actuelle, l'important ce n'est pas le voyage, c'est la destination, car ce sont les destinations qui communiquent le plus, sans compter que, par définition, les flux majeurs sont structurés par les capacités d’accueil des destinations.

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    Pour l’avenir, l'important à prendre en compte c'est la destination à laquelle on parvient grâce au voyage, un voyage qui peut avoir l’ambition de redevenir un composant de notre imaginaire au lieu d’être ravalé à un mal nécessaire lié aux contraintes horaires et aux effets de masses des grands départs.
    Pour ce faire, si le recours à l’avion doit devenir moins fréquent, le corollaire est la valorisation de tous les autres modes de transport et, en premier lieu du train. La relance de trains de nuits, de nouvelles destinations, va dans le bon sens, même si les tarifs demeurent encore dissuasifs.

    « Plaidons davantage en faveur de la lenteur de l'eau, du train… »

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    « Le renouvellement de nos imaginaires passe aussi par l’intégration du moyen d’arriver à destination, la combinaison des deux faisant la réussite du voyage touristique »

    Portrait chinois

    Votre voyage en 2024

    Un voyage dans les éoliennes, ces îles méditerranéennes, qui autorisent la sensation complexe d’être isolé mais avec toujours la vision d’autres îles proches, le tout avec désormais la possibilité d’y accéder en train puis en bateau.

    Votre voyage en 2050

    Dans un monde idéal, un voyage dans un monde en paix, décarboné, avec une longue espérance de vie pour tous les habitants de la Terre. Pour des raisons géopolitiques, énergétiques et climatiques, les flux touristiques majeurs se déploieraient à une échelle infra-continentale.

    Ouvrages récents

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    « Réinventer le tourisme. Sauver nos vacances sans détruire le monde », Éditions du faubourg (2021)

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    « Réinventer (vraiment) le tourisme. En finir avec les hypocrisies du tourisme durable », Éditions du faubourg (2023)

    2 publications en ligne de la Fondation Jean Jaurès :

    • « La surmédiatisation du surtourisme : ce qu’elle nous dit du tourisme (et de ceux qui en parlent » (septembre 2023)
    • « Le Tourisme réflexif un point d’étape » (janvier 2024).

    Interview réalisée en avril 2024 dans le cadre de Tendances & Prospective par Séverine PORTET

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